Le Monde (Paris) review
Posted: Mon Oct 25, 2004 9:44 pm
This is from our friend Patrice.
http://www.lemonde.fr/web/recherche_art ... 174,0.html
"Dear Heather", ou la sombre maturité de Leonard Cohen
LE MONDE | 24.10.04
Dans son nouveau disque, le chanteur canadien unit ses propres textes à ceux de poètes disparus.
Faisons un rêve. Les mots de Leonard Cohen retrouveraient une instrumentation à la hauteur de leur ténébreuse musicalité. A l'instar des œuvres tardives de Lou Reed ou de Johnny Cash, les chansons du poète canadien se choisiraient une sobriété près de l'os, les vibrations rêches d'une guitare, la profondeur d'un piano, ou, pourquoi pas, l'ambition d'arrangements de cordes, pourvu que violons et violoncelles résonnent d'un boisé authentique.
Sans pour autant revenir au minimalisme fondateur de ses premiers albums, The Songs of Leonard Cohen (1968) ou Songs From a Room (1969), sans recourir à la dépression instrumentale qui accompagnait les gouffres de Songs of Love and Hate (1971), le troubadour crépusculaire pourrait trouver mieux en tout cas que les sons tocs qui "plastifient" trop souvent Dear Heather, son nouvel album.
Depuis 1988 et l'album I'm Your Man, le studio d'enregistrement domestique entre dans le processus créatif de Leonard Cohen. Dans ce disque et le suivant, The Future, l'ermite bouddhiste s'amusait à bricoler en autarcie avec des synthétiseurs "bon marché", assumant une technologie qui semblait ironiquement renoncer à sa modernité. Les maladresses des machines accentuaient les grincements pessimistes des chansons.
En 2002, cette esthétique "home studio" perdait de son allure primitive, sous l'impulsion de la productrice-compositrice-chanteuse afro-américaine Sharon Robinson, qui, derrière les manettes et au côté du caverneux crooner, privilégiait un moelleux nouveau riche. De belles mélodies et une suave complicité donnaient du charme à la légère ringardise de la production.
Le Canadien a de nouveau fait appel à Sharon Robinson, pour la moitié de Dear Heather, le reste de l'album étant confié à Leanne Ungar (accompagné d'une choriste omniprésente, Anjali Thomas), qui partage le même goût pour l'apaisement de salon.
La sombre maturité de l'auteur se frotte aux bilans de la vieillesse, à l'impossible renoncement aux femmes, à l'effondrement de la Babylone contemporaine, au trauma du 11-Septembre (On That Day), dans des textes dont l'épure confine parfois au haïku (" Dear heather/Please walk by me again/With a drink in your hand/And your legs all white/From the winter"). Sa voix toujours plus sépulcrale récite aussi un petit cercle de poètes disparus : Byron, Frank Scott, Carl Anderson.
Fruit peut-être d'une méditation zen, l'habillage musical tente d'apporter un peu de lumière et de sérénité à ce verbe souvent désespéré. Dommage que cette envie de légèreté passe par la guitare d'un paresseux émule d'Eric Clapton, un saxophone digne d'être enfermé dans un ascenseur, des claviers dont ne voudrait pas un lounge d'hôtel.
La grave élégance de Leonard Cohen suscite parfois des rencontres plus réussies, comme dans Dear Heather où tourne le manège cassé d'un faux orgue de barbarie, dans la valse et la guimbarde dérisoire de On That Day ou dans la superposition de chœurs et de récitatif de Villanelle for Our Time.
The Faith, surtout, composée à partir d'une chanson traditionnelle québécoise, offre le seul titre dans lequel s'expriment un violon, un oud, un accordéon, une basse, une flûte, des cordes, pour des palpitations instrumentales qu'on rêverait de croiser plus souvent.
S. D.
http://www.lemonde.fr/web/recherche_art ... 174,0.html
"Dear Heather", ou la sombre maturité de Leonard Cohen
LE MONDE | 24.10.04
Dans son nouveau disque, le chanteur canadien unit ses propres textes à ceux de poètes disparus.
Faisons un rêve. Les mots de Leonard Cohen retrouveraient une instrumentation à la hauteur de leur ténébreuse musicalité. A l'instar des œuvres tardives de Lou Reed ou de Johnny Cash, les chansons du poète canadien se choisiraient une sobriété près de l'os, les vibrations rêches d'une guitare, la profondeur d'un piano, ou, pourquoi pas, l'ambition d'arrangements de cordes, pourvu que violons et violoncelles résonnent d'un boisé authentique.
Sans pour autant revenir au minimalisme fondateur de ses premiers albums, The Songs of Leonard Cohen (1968) ou Songs From a Room (1969), sans recourir à la dépression instrumentale qui accompagnait les gouffres de Songs of Love and Hate (1971), le troubadour crépusculaire pourrait trouver mieux en tout cas que les sons tocs qui "plastifient" trop souvent Dear Heather, son nouvel album.
Depuis 1988 et l'album I'm Your Man, le studio d'enregistrement domestique entre dans le processus créatif de Leonard Cohen. Dans ce disque et le suivant, The Future, l'ermite bouddhiste s'amusait à bricoler en autarcie avec des synthétiseurs "bon marché", assumant une technologie qui semblait ironiquement renoncer à sa modernité. Les maladresses des machines accentuaient les grincements pessimistes des chansons.
En 2002, cette esthétique "home studio" perdait de son allure primitive, sous l'impulsion de la productrice-compositrice-chanteuse afro-américaine Sharon Robinson, qui, derrière les manettes et au côté du caverneux crooner, privilégiait un moelleux nouveau riche. De belles mélodies et une suave complicité donnaient du charme à la légère ringardise de la production.
Le Canadien a de nouveau fait appel à Sharon Robinson, pour la moitié de Dear Heather, le reste de l'album étant confié à Leanne Ungar (accompagné d'une choriste omniprésente, Anjali Thomas), qui partage le même goût pour l'apaisement de salon.
La sombre maturité de l'auteur se frotte aux bilans de la vieillesse, à l'impossible renoncement aux femmes, à l'effondrement de la Babylone contemporaine, au trauma du 11-Septembre (On That Day), dans des textes dont l'épure confine parfois au haïku (" Dear heather/Please walk by me again/With a drink in your hand/And your legs all white/From the winter"). Sa voix toujours plus sépulcrale récite aussi un petit cercle de poètes disparus : Byron, Frank Scott, Carl Anderson.
Fruit peut-être d'une méditation zen, l'habillage musical tente d'apporter un peu de lumière et de sérénité à ce verbe souvent désespéré. Dommage que cette envie de légèreté passe par la guitare d'un paresseux émule d'Eric Clapton, un saxophone digne d'être enfermé dans un ascenseur, des claviers dont ne voudrait pas un lounge d'hôtel.
La grave élégance de Leonard Cohen suscite parfois des rencontres plus réussies, comme dans Dear Heather où tourne le manège cassé d'un faux orgue de barbarie, dans la valse et la guimbarde dérisoire de On That Day ou dans la superposition de chœurs et de récitatif de Villanelle for Our Time.
The Faith, surtout, composée à partir d'une chanson traditionnelle québécoise, offre le seul titre dans lequel s'expriment un violon, un oud, un accordéon, une basse, une flûte, des cordes, pour des palpitations instrumentales qu'on rêverait de croiser plus souvent.
S. D.